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Anne-Célia Disdier*, Lionel Fontagné*, Enxhi Tresa

Cet article a été initialement publié dans l’édition de octobre 2021 des 5 articles…en 5 minutes.

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Les marchés publics, qui représentent respectivement 14 % et 10 % du PIB de l’Union européenne et des États-Unis (1), favorisent particulièrement les acteurs économiques nationaux. Ce biais national pourrait être jusqu’à deux fois plus fort que dans le secteur marchand. Il y a de bonnes raisons à cela. Notons tout d’abord la complexité des procédures et les niveaux auxquels sont prises les décisions : les marchés publics se déroulent à différents échelons, national, infranational ou même local, et les concurrents étrangers ne sont pas bien informés des pratiques en vigueur. En outre, l’information fût-elle disponible, l’ouverture à la concurrence est soumise à de multiples seuils en fonction de la nature du bien ou du service concerné et de l’acheteur. Deuxième raison : le manque de discipline sur ces marchés. En effet, les marchés publics ne sont pas soumis aux disciplines multilatérales de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). En outre, l’Accord sur les marchés publics (AMP) étant un accord plurilatéral, la réciprocité de l’accès au marché n’est accordée qu’aux seuls signataires de l’accord – une incitation puissante à l’adhésion. De même, seule une partie à l’accord plurilatéral peut dénoncer formellement des mesures discriminatoires et recourir au mécanisme de règlement des différends. De ce fait, l’absence d’engagement multilatéral laisse une grande latitude aux restrictions réglementaires sur les marchés publics.

S’il est notoire que les mesures relatives aux marchés publics peuvent entraîner une distorsion des échanges, nous savons peu de choses sur les déterminants des mesures effectivement appliquées. Dans cet article, Anne-Célia Disdier, Lionel Fontagné et Enxhi Tresa étudient les facteurs déterminants de la prévalence des obstacles réglementaires aux marchés publics internationaux. Pour quelles raisons et dans quelle mesure les producteurs étrangers se heurtent-ils à des obstacles ? En définitive, les gouvernements s’appuient-ils sur des pratiques restrictives en matière de marchés publics pour protéger les producteurs nationaux de la concurrence étrangère ? Le risque de représailles contre les entreprises nationales déjà présentes sur les marchés internationaux empêche-t-il les gouvernements d’appliquer des mesures restrictives ?
Pour répondre à ces questions, les auteurs combinent des données détaillées sur les flux commerciaux bilatéraux de 175 pays sur la période 2009-2016 au niveau des produits, avec des informations exhaustives sur les mesures affectant les marchés publics, informations incluses dans la base de données Global Trade Alert (2). Ce faisant, ils sont en mesure d’observer les pays restrictifs et les produits et exportateurs affectés. La dernière information nécessaire concerne la protection formelle, à savoir les droits de douane imposés à certains produits ciblés par les juridictions qui les mettent en œuvre. Ces droits ont une dimension bilatérale et varient dans le temps, tout comme les deux autres éléments de la base de données finale. Les conclusions des auteurs sont nettes. Sans surprise, les pays importateurs appliquent en moyenne moins de mesures sur les produits originaires de partenaires commerciaux importants. À la marge extensive, à savoir dans quelle mesure au moins est appliquée ou non, cela suggère l’existence de relations de long terme entre les acheteurs et les vendeurs. À la marge intensive, à savoir le nombre de mesures en place, le mécanisme en jeu est légèrement différent. Les pays qui commencent à imposer des mesures à certains exportateur-produit au cours de la période (qualifiés de « switchers »), ont recours à davantage de restrictions à l’égard d’exportateurs de grande taille. Toutefois, le nombre de mesures appliquées reste inférieur à celui observé pour les « non-switchers ». De plus, les possibles représailles étrangères douchent les velléités protectionnistes dans les domaines délaissés par les règles multilatérales. Enfin, Disdier, Fontagné et Tresa mettent en évidence la substituabilité entre les droits de douane et les restrictions sur les marchés publics dans les cas où ces derniers sont au moins une fois affectés par une restriction.

(1) Ces chiffres n’incluent pas les services publics, dont des services jouant un rôle essentiel dans le développement économique et social (eau, énergie, transports et services postaux).
(2) https://www.globaltradealert.org/

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Références

Titre original de l’article : Economic drivers of public procurement-related protection

Publié dans : The World Economy, 2021

Disponible via : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/twec.13193

Crédit visuel : samjapan – Shutterstock

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