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Ariell Reshef*, Gianluca Santoni

Cet article a été initialement publié dans l’édition de mars 2021 des 5 articles…en 5 minutes.

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Les chercheurs en sciences sociales et les décideurs politiques se sont alarmés de la chute constatée de la part du travail dans la valeur ajoutée dans les pays industrialisés ces dernières décennies. En effet, cette diminution soulève le risque d’une flambée des inégalités. Or, si les revenus du travail et du capital sont tous deux reçus in fine par des individus, la propriété du capital est bien plus concentrée que ne le sont le capital humain ou le revenu du travail, partagés entre les travailleurs. Par conséquent, une réduction modeste de la part de la valeur ajoutée revenant aux travailleurs suffit à faire augmenter considérablement les inégalités de revenu. Ce phénomène est d’ailleurs d’autant plus exacerbé par la croissance en berne des dernières années.
Les précédents travaux sur le sujet ont mis en avant le lien entre l’évolution de la part du travail dans la valeur ajoutée et le développement des technologies et les changements de politique économique domestique.

Dans cet article, Ariell Reshef et Gianluca Santoni se penchent sur le rôle de la mondialisation, et, plus précisément, sur l’effet de l’approfondissement des chaines de valeurs globales (CVG) et de l’intégration de la Chine à l’économie mondiale. Si la diminution de la part du travail débute au milieu des années 1980, les auteurs montrent, preuves à l’appui, que cette chute s’est accélérée à partir de 2001 (date d’entrée de la Chine à l’OMC) jusqu’à la crise financière de 2007, avant de se stabiliser. Dans de nombreux pays, la courbe du degré d’intégration aux CVG épouse celle de la diminution de la part du travail : son ascension commence au milieu des années 1990, puis accélère sur la période 2001-2007, avant d’atteindre un plateau. En développant une méthodologie permettant de séparer les effets de l’intégration aux CVG et de l’évolution des technologies et autres facteurs, les auteurs constatent que les pays qui ont accru leur intégration « en amont » dans les chaînes de valeur mondiales en exportant davantage d’intrants intermédiaires (par opposition aux exportations de biens finaux) et en délocalisant l’assemblage ont vu la part du travail dans la valeur ajoutée diminuer davantage que les autres pays. Ils ne constatent pas de corrélation entre d’autres formes d’intégration à l’économie mondiale (exportation ou importation de produits finis, importation de biens intermédiaires) et la diminution de la part du travail.

La causalité entre la diminution de la part du travail dans la valeur ajoutée et l’intégration « en amont » aux CVG n’est jamais aussi fortement marquée que sur la période 2001-2007. En effet, cette période correspond à une forte exportation de biens de production et à des délocalisations importantes vers la Chine. Les auteurs relèvent que la production et l’exportation de biens intermédiaires requièrent une mobilisation plus importante de la main d’œuvre que la production et le montage de produits finis. De ce fait, la diminution de la part du travail pourrait être due à une transformation de la composition de la production de l’économie. La baisse de la part du travail s’explique par la baisse des paiements au travail dans les tâches de fabrication, et, dans une moindre mesure des emplois de cadres et dans le domaine du marketing, mais, fait intéressant, que ce phénomène n’est pas corrélé à une dégradation similaire dans le domaine de la recherche et du développement et des emplois à haute qualification technique. Cette dernière observation vient étayer la conclusion de cet article selon laquelle l’intégration de la Chine à l’économie mondiale et son rôle de chaîne de montage de la production mondiale ont contribué à la baisse de la part du travail sur la période 2001-2007.

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Références

Titre original de l’article : Are Your Labor Shares Set in Beijing ? The View through the Lens of Global Value Chains

Publié dans : CEPII Working Paper 2019-16

Disponible via : http://www.parisschoolofeconomics.com/reshef-ariell/papers/RS_Lsh_march21.pdf

Crédits visuel : Shutterstock fuyu liu

* Chercheur PSE